Ancêtres de Bresse et  de Savoie

Le mariage de Jean Baptiste CARRIER le 14 février 1697

Le jeudi 14 février 1697 s’éteint Jeanne Berchet la mère de Jean Baptiste. Celui-ci reste seul avec Jeanne  et François. Perrine et Jean Claude ont quitté la maison. Il est temps pour Jean Baptiste de prendre femme, il a 34 ans. En Savoie, les jeunes gens choisissent librement leurs futurs maris ou femmes.

            La paroisse constitue le cadre naturel d’un choix conjugal[1] qui répond à une règle tacite d’endogamie locale, car on songe avant tout à maintenir la cohésion des patrimoines en évitant les partages qu’entraîneraient les mariages au-dehors, mieux vaut donc, convoler entre soi. On y trouve peut-être pas la beauté et la grâce  autant qu’on le voudrait, mais ce n’est pas tout et l’amour viendra après.

Ici on se connaît, on parle, on s’évalue. La veillée dans les écuries, les rencontres au four, à la procession, la vogue, la messe, les visites à la famille sont autant d’occasions d’approches et, d’appréciation réciproque. C’est donc tout naturellement que le choix de Jean Baptiste se porte sur une jeune fille du village de Daudens : Jeanne Andréa Perreard de treize ans sa cadette. Jeanne Andréa est née le 23 avril 1676, elle est la fille de Jean Perreard et de Claudine Vindret. Les deux familles ne sont pas étrangères puisque Pierre Vindret époux de Jeanne Carrier, la tante de Jean Baptiste est le cousin germain de Claudine Vindret. C’est donc probablement chez sa tante au cours des veillées organisées les uns chez les autres, ou bien au cours des travaux des champs où l’entraide est fréquente et à la messe que Jean Baptiste a eu tout le loisir d’apprécier Jeanne Andréa.  Jean Baptiste est un homme vigoureux et travailleur qui ne fait  pas parler de lui, qui reste très effacé. C’est aussi un homme droit qui ne tient pas à être redevable aux autres. Il  honore ses dettes dès qu’il le peut avant même la date prévue. Un acte du 17 septembre 1699, indique que Jean Baptiste a payé à Jacques Carrier, son oncle, le montant de la location d’une terre alors que l’échéance était à la Saint André. Jean Perreard ne voit donc aucune raison pour ne pas lui donner sa fille lorsque celui-ci lui en fait la demande accompagné par son oncle Amblard comme c’est la coutume, puisqu’il devait être accompagné par un membre de sa famille son père étant décédé. La coutume veut aussi que ce soit le garçon qui prenne l’initiative de la déclaration en offrant un gage à la fille pour sceller leur accord : à Évires, le garçon donne un mouchoir pour symboliser une intronisation .



[1] Jean et Renée Nicolas La vie quotidienne en Savoie au 17ème et 18ème siècles, Hachette, 1979 p : 66

 

La Savoie d’Ancien Régime ignore la communauté ou la séparation de biens : le contrat de mariage est donc toujours un contrat dotal [1]. La  formulation de tous les contrats de mariage se ressemblent quant à la disposition et au formulaire. Le notaire commence par nommer les époux et leurs ascendants et par dater l’acte.

 Pour Jean Baptiste et Andréa leur contrat de mariage est établi le 4 juillet 1697 chez Maître Carrier. Amblard Carrier et Jean Berchet, les oncles de Jean Baptiste sont présents. C’est le père de Jeanne Andréa, Jean Perreard, qui constitue la dot de la mariée. La dot est constituée pour la femme au mari par la famille de celle-ci : le père ou les frères, si celui-ci est décédé, parfois par le père et la mère conjointement ou chacun pour sa part, ou par la mère seule lorsqu’elle a la tutelle et l’administration des biens de ses enfants. Parfois la fille, émancipée par la mort de son père, séparée de la communauté familiale par les circonstances, ayant reçu de ses frères la part d’héritage sous forme d’une somme d’argent, constitue elle-même une dot à son mari. ; les filles moyennant une somme d’argent sont exclues de l’hoirie paternelle. La dot est presque toujours constituée en argent du moins à Évires. En  règle générale la somme ne va pas au-delà de deux cents à trois cents livres ou florins ; quatre ou cinq cents livres font un très beau parti[2]. Celle d’Andréa s’élève à trois cents florins comme le plus grand nombre des dots à Évires à cette époque. Cependant quelques dots sont supérieures à trois cents florins  ainsi  Jeanne Louise Démolis fille de Claude Démolis et de Claudaz Chatton  qui épouse en 1702 André Dupenloup apporte une dot de 654 florins à son époux, de même Françoise Mugnier fille de Jean Claude Mugnier et de Philiberte Démolis qui épouse en 1702, Jean Claude Vuagnoux fils de François Vuagnoux et de Aymaz Burnier apporte une dot de 450 florins. Par contre d’autres futures mariées sont nettement moins nanties :Philiberte Vindret fille de Dominique Vindret future épouse d’Amed Dard de la paroisse de Pers n’a que cent florins de dot; Claudine Gignod qui épouse Antoine Delavey d’Amancy  n’apporte que cent vingt florins de dot. La dot est rarement payée comptant au moment du contrat. On fixe les échéances de règlement[3] : tant le jour du mariage, tant six mois, un an cinq ans après. Pour Andréa et Jean Baptiste les modalités de paiement sont les suivantes : 50 florins dans un an puis 50 florins d’année en année jusqu’au paiement complet de la dot. On prévoit aussi l’argent que donnera le père pour l’habit de noce, pour Jeanne Andréa, son père prévoit  vingt florins pour son habit de noce, ce qui est une somme tout à fait honorable pour l’époque.

           

[1] Roger Devos La pratique des documents anciens p 89 – 90 –91- 92 – 93-94-95

[2] Jean Nicolas La vie quotidienne en Savoie au 17ème et au 18ème siècles p 71

[3] Jean Nicolas La vie quotidienne en Savoie au 17ème et au 18ème siècles p 71

 

Dans le contrat de mariage il est aussi fait mention du trousseau. Sous cette rubrique, il faut ranger des éléments qui sont en fait distingués dans les contrats : les robes nuptiales comme nous venons de le voir qui constituent aussi les vêtements de cérémonie que la femme portera le jour de ses noces et qui dureront toute sa vie, mais aussi le « trossel » et le « fardel ».

 Le « trossel » se compose de vêtements ordinaires. Pour Jeanne Andréa, son trossel se compose d’un habit de couleur, un cotillon de tridaine (mélange de fil et de laine) et de deux corps à manche ou corsages. D’autres contrats de mariage nous renseignent un peu plus sur le « trossel » des épousées de l’époque. Ainsi  Jeanne, la sœur de Jean Baptiste, épouse en 1701 Pierre Burnier de la Chapelle Rambaud, son trossel se compose  d’un habit en serge bleu, c’est une étoffe de laine dont le poil est tiré  en dehors et frisé, d’une robe en serge de Valence (tissu fabriqué dans la ville dromoise), de deux brassières, d’un corps à manches, d’une chemisette. Ce  « trossel » est coutumier à Évires. Les couleurs traditionnelles de l’habillement des Éviroises à l’époque de Jean Baptiste  sont le bleu, le rouge, le gris parfois le violet et le jaune. Les vêtements sont faits de serge de Valence ou de Londres pour les plus fortunés, de ratine, de tridaine. Néanmoins il est bien difficile de se rendre compte si les gens portaient un costume particulier. Les contrats de mariage nous présentent le costume paysan comme une sorte d’uniforme composé de pièces de coupe à peu près semblables[4] mais différentes quant à la matière, selon que la fiancée était riche ou pauvre. Le trossel comprend souvent un coffre de sapin ou de noyer, « ferré et fermant à la clef ». Andréa n’en avait pas mais Jeanne Carrier, soeur de Jean-Baptiste possédait un coffre de sapin.

            Le « fardel » [5]se compose des draps ou « linceuls », couverture coussins de plume ; dans les familles plus aisées de tours de lits et de rideaux. À Évires, le fardel se compose aussi souvent d’une « moge » (une génisse), d’une ou plusieurs mesures de froment. Le « fardel » d ‘Andréa se compose d’un rang de toile, de deux linceuls, une moge et de deux quarts de froment (42.20litres). Celui de Jeanne  se compose d’une génisse d’un an, de quatre linceuls, et trois quarts de froments légués par son père, un tour de lit avec ses franges mais sans rideaux, un coffre de sapin tenant deux coupes ( 168.80litres).

            Le contrat de mariage  se compose aussi de l’augment. C’est une donation que la coutume oblige le mari à faire à sa femme. En Savoie, elle est presque toujours égale à la moitié de la dot lorsqu’elle est en argent comme à Évires et au tiers lorsque la dot est en immeuble. Lorsque  la dot est une constitution générale des biens de l’épouse, il est précisé que l’augment sera donné en proportion de ce que le mari aura perçu des droits de sa femme. En Savoie, l’augment n’était dû  qu’à la femme ayant apporté une dot.

 

Dans nos villages du plateau des Bornes, les futurs époux font des cadeaux à leurs beaux-frères et belles-sœurs, parrains et marraines ; ils donnent des bijoux aux jeunes filles et jeunes gens, une robe aux marraines ; ils achètent un mouchoir de couleur pour le curé et plus tard pour le maire. Par contre si dans certains villages de Savoie il est de coutume d’enterrer sa vie de garçon ce n’est pas le cas dans nos villages du plateau des Bornes[6].

 

Arrive le jour du mariage, après la triple proclamation des bans à l’église, la « criée », trois dimanches de suite dans les villages respectifs des futurs qui ce jour–là n’assistent pas à la messe paroissiale, peut-être pour échapper à la curiosité publique.  En règle générale, la jeune mariée va habiter dans la maison de son époux ce qui est le cas pour Andréa et Jeanne. Dans  toute la Savoie[7] on se marie principalement le mardi  ce qui est le cas à Évires mais on note aussi un certain nombre de mariages le jeudi, rares sont les mariages le vendredi, on n’en compte qu’une dizaine ce jour de la semaine sur une durée d’un siècle. On  ne se marie pas en période de carême, bien sûr,  ni au mois de mai, consacré à Marie ; on ne compte que 12 mariages en mai durant un siècle. Les  Évirois se marient principalement en février (130 mariages) et en janvier (80 mariages). Les mois d’aôut, septembre, octobre ne sont pas très prisés à cause des travaux des champs. Décembre  est aussi délaissé(6 mariages durant un siècle).

Généralement, le matin du mariage, le fiancé accompagné de sa parenté, se rend à la maison de sa fiancée pour la mener ensuite à l’église avec sa parenté à elle. Un petit déjeuner  est préparé à la maison de la fille puis c’est le départ pour l’église. La fiancée ouvre le cortège au bras de son père ou de son frère aîné lorsque son père est décédé ; elle est accompagnée des filles d’honneurs ; puis vient sa parenté ; ensuite le fiancé au bras de sa mère, Jean Baptiste choisira Jeanne Carrier, sa tante et épouse de Pierre Vindret pour le mener à l’autel suivi des garçons d’honneur et de sa parenté. À la fin de la cérémonie, à la sortie, sous le porche chacun des deux époux embrasse ses deux beaux-parents pour « reconnaître la parenté » puis c’est le retour dans la maison de la mariée pour satisfaire au repas de noce. Le curé reçoit un mouchoir de couleur offert par le marié.       




[4] Marie Thérèse Hermann Architecture et vie traditionnelle en Savoie

[5] Roger Devos La pratique des documents anciens p 91

[6] Arnold Van Gennep En Savoie  du berceau à la tombe p 90 -94

[7] Arnold Van Gennep En Savoie  du berceau à la tombe p 104

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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