En effet, le traité de Lyon sonnait comme le glas des illusions de Charles-Emmanuel sur un possible agrandissement à l’ouest, au détriment du royaume de France. Avec la Bresse, l’État savoyard arrivait aux portes de Lyon, après l’échange, il était reporté au-delà du Rhône, en gros à nos deux départements actuels. Charles-Emmanuel espérait retrouver la Bresse et ses provinces perdues, mais il lui faudra se rendre à l’évidence : le traité de Lyon ne sera jamais remis en question.
Désormais, Charles-Emmanuel se tourne vers l’Italie et cherche à agrandir son domaine du côté de Montferrat, du Milanais et de la rivière de Gênes. Continuant sa politique de bascule de renversement des alliances, il se rapproche de la France puis déçu, retourne à l’alliance espagnole.
Les ambitions italiennes[2]
Lassé par le protectorat que continuait d’exercer l’Espagne sur ses États et comprenant qu’elle ne consentirait jamais à leur extension en Italie, Charles-Emmanuel se tourne progressivement vers la France.
Le duc de Lesdiguières
Le duc de Lesdiguières, un fidèle d’Henri IV, au nom de la France et Charles-Emmanuel conclurent le 25 avril 1610 près de Suse, une alliance offensive et défensive pour la liberté de l’Église et de l’Italie et contre les empiétements de l’Espagne. Les conditions étaient très favorables au duc, au lieu de la cession de la Savoie en échange du Milanais, qu’il avait d’abord envisagé, Henri IV se contentait de la démolition de Montmélian, et à la place de Pignerol pour la sûreté de ses troupes, il acceptait deux villes à enlever aux Espagnols, Victor-Amédée, prince du Piémont, épouserait Élisabeth de France, fille du roi. Occasion magnifique pour Charles-Emmanuel de s’agrandir de tout le Milanais sans rien céder de la Savoie. Mais tout cela n’était encore que du papier quand Ravaillac fit s’écrouler cette belle combinaison le 14 mai 1610.
Marie de Médicis
Marie de Médicis, régente, et ses ministres abandonnèrent l’opération prévue en Italie ainsi que le projet de mariage d’Élisabeth avec Victor-Amédée au profit d’un mariage espagnol. Ce n’était pas seulement une immense déconvenue pour Charles-Emmanuel, mais le lâchage de la France le laissait surtout à la merci des troupes milanaises de Fuentès, il ne lui restait plus qu’à envoyer son fils Philibert implorer le pardon de Philippe III.
Entre 1613 et 1617, le duc de Savoie va se lancer à nouveau dans la guerre à Montferrat, suite au décès de François de Gonzagues, duc de Mantoue et de Montferrat, afin de faire valoir ses droits sur ce dernier territoire à demi enclavé dans ses États. Charles-Emmanuel n’a retiré aucun avantage de cette guerre de Montferrat, mais elle lui a permis de se présenter comme le champion de la liberté de l’Italie, capable de tenir tête aux Espagnols. L’alliance française lui avait bien réussi, il fallait l’affermir dans l’espoir de voir renaître la politique d’Henri IV et le traité près de Suse. Lesdiguières prépara le mariage de Victor-Amédée et de Christine de France, sœur de Louis XIII, et à la fin de l’automne 1618, Charles-Emmanuel envoya en ambassade extraordinaire à Paris, son propre fils, le cardinal Maurice de Savoie, accompagné du comte Philibert de Verrue, du président du Sénat, Antoine Favre, et de l’évêque de Genève François de Sales. Le mariage fut célébré dans la chapelle du Louvre le 10 février 1619.
Lors de la seconde guerre de Montferrat (1628-1631), Charles-Emmanuel n’eut pas plus de chance que la première fois. La peste était partout, en Savoie comme en Piémont, et faisait fondre les régiments comme neige au soleil par la mortalité et les désertions. Au milieu de la désolation générale, Charles-Emmanuel meurt d’apoplexie à Savillana le 26 juillet 630. L’historiographie savoyarde lui a décerné le titre de grand. Il s’agit surtout de l’échec d’une politique ambitieuse qui a accumulé ruines et misères. À sa manière cependant, Charles-Emmanuel a contribué à affermir et à souder l’État savoyard autour de la personne de son souverain.
[1] Roger DEVOS et Bernard GROSPERRIN, la Savoie de la Réforme à la Révolution française, p 82 à p 96
[2] Roger DEVOS et Bernard GROSPERRIN, la Savoie de la Réforme à la Révolution française, Ouest France, p 98 à 106